lundi 13 juin 2016




Il avait trop envie pour rater cette soirée.
Trop envie de danser.
De bien se défouler.
De fouler ce bitume, ce béton sanctuarisé.
Ce lieu de défoulement pour lui.
Ce lieu de perdition pour d'autres.
Il fallait expulser.
Il fallait le danser.
Ce malaise.
Ce mal-être.
Ses parents dégoûtés.
Ses amis très gênés.
Il avait mis du temps.
22 ans.
Il avait pris ce temps pour enfin assumer.
C'était si douloureux.
C'était si compliqué.
Il n'avait pas su dire.
Ne voulait plus cacher.
Il avait donc avoué.
Mais avouer, quelle folie !
Qui donc le comprendrait ?
Ce mot déjà "avouer".
Pour quel crime ?
Quel méfait ?
Il avait donc tout dit.
Voulu tout assumer.
Avait pris dans la gueule.
Les défiances.
Les rejets.
Mais tout sauf le mensonge.
C'était ce qu'il voulait.
Tout sauf vivre dans l'ombre.
Tout sauf tous ces regrets.
Tout sauf perdre l'amour à vouloir se masquer.
Alors s'enfuir ici.
Au moins pour une soirée.
Venir se réfugier, oublier, cadenser.
Il n'y avait plus qu'à.
Plus qu'à enfin danser.
Etre provocateur.
Etre voyant en fait.
Etre enfin vu peut être.
Etre enfin accepté.
Ici, il le savait.
Personne pour le juger.
Personne pour le jauger.
Pas de regards en coin.
Ou alors, aimantés.
Pas de sourires aux lèvres.
Ou alors carnassiers.
Des amants potentiels.
Et des beaux bras musclés.
Mais pas pour le frapper.
Pas pour le faire changer.
Et des lèvres entr'ouvertes.
Mais bien pour le charmer.
Pas pour lui balancer "tire toi de là sale pédé !".
Entrer dans la lumière.
Dans le son.
Dans les rais.
La lumière défractée.
Les pupilles dilatées.
La transe.
Musique.
Corps.
Coeur.
A l'unisson avec tous ces damnés.
Ceux qui comme lui n'étaient pas vraiment bien rangés.
Pas dans les jolies boîtes des braves gens bien proprets.
Pas dans les p'tits papiers des normaux, des ok.
Alors danser.
Encore.
Et boire.
Et fumer.
Toute la nuit.
A bout de forces.
Enfin tout évacuer.
Sentir des corps serrés.
Des caresses acceptées.
Accueillies.
Ou rêvées.
Et le son de ces basses.
Puissantes et engagées.
Vibrations dans les hanches.
Pulsations au taquet.
Boum.
Boum.
Boum.
Et soudain.
Boum encore.
Mais pas clair.
Pas normal.
Des boums exagérés.
Des boums irréguliers.
Et puis de la fumée.
Cette odeur pleine d'acier.
Voir les corps s'écrouler.
Croire qu'ils exagéraient.
Que la transe les prenait.
Avec les stromboscopes, voir tout en fractionné.
Mais ces corps ...
Mais ces danses ...
Mais ces cris tout à coup ...
Ce n'était plus la fête.
Ce n'était plus la vie.
Ce n'était plus la transe.
Plus celle que l'on dansait.
C'était l'abominable.
C'était le sang versé.
Les cris, les courses, les planques ...
Tenter de s'échapper.
Se sentir enfermé.
Comme au fond d'un terrier.
La chasse à cour.
La chasse aux gays.
Le fou de dieu.
Le fou tout court.
Celui qui a pensé tirer sur des damnés.
Celui qui n'a d'humain que le corps.
Celui qui est un monstre.
Celui qui a tiré.
Celui qui a gardé en otages les derniers.
Celui qui a voulu son acte justifier.
Mais le sang.
Mais la haine.
Mais l'horreur.
Peuvent ils être pensés ?
Peuvent-ils être compris ?
Peuvent-ils se justifier ?
Lui, il voulait danser.
Juste pour se sentir de temps en temps vivant.
Mais mourir de tout ça ?
Mais mourir d'être gay ?
Il ne l'aurait pas cru.
Ne l'aurait pas pensé.
Il est mort incrédule.
Incapable de cerner.
Le pourquoi de cet homme.
Le comment de ces faits.
Il est mort en amour.
Par amour.
Sans amour.
Et tout ce qu'il nous reste, c'est son dernier regard.
Ses yeux écarquillés.
Son dernier sentiment.
Ce testament laissé.
Dans nos coeurs désormais.
Cette incrédulité.




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